#19 / Un modèle d’urbanité inclusive au prisme de la promotion des Jeux Paralympiques 2024

Florie Bresteaux

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Introduction : ce que les Jeux font à la ville

En octobre 2022 avait lieu la toute première Journée Paralympique sur la place de la Bastille à Paris. Organisé par Paris 2024, le ministère des Sports, le Comité Paralympique et Sportif Français et la Ville de Paris, l’événement a rassemblé plusieurs milliers de personnes dans la pratique de quinze parasports tels que le basket fauteuil, le cécifoot ou la boccia1, avec un objectif : faire entrer les Jeux Paralympiques dans le calendrier des grands rendez-vous sportifs mondiaux au même titre que les Jeux Olympiques. La veille de l’événement, le discours relève du registre de la conquête : « Le 8 octobre 2022, les athlètes paralympiques s’emparent de la Ville lumière. ». Si cette première heure de gloire du paralympisme témoigne d’une forte mise en visibilité des athlètes paralympiques, elle soulève des enjeux et des questionnements concernant la portée inclusive de ce moment promotionnel. « Agitateurs d’urbanité » (Bordage et Saez, 2017), les événements contemporains peuvent-ils porter une urbanité inclusive ? Les Jeux Paralympiques de Paris 2024 et leurs événements de promotion peuvent-ils être les garants des « vertus inclusives » parisiennes (Garel, 2022) ?

Le jour de l’événement, la place de la Bastille est bondée. Les influenceurs invités croisent les para-athlètes en démonstration et les familles s’essayant à tous les parasports représentés. En début de soirée, le triple champion paralympique en saut en longueur, Markus Rehm, tente de battre son record sur un lançoir reconstitué, encouragé par des centaines de Parisien·nes. Ce 8 octobre, qui sera désormais célébré chaque année à Paris comme un nouveau credo pour préparer le match retour des Jeux, y compris hors du contexte des Jeux, l’heure est à la fête pour le paralympisme qui connaît une attractivité et une publicité sans précédent, quelques mois avant le début des Jeux de Paris 2024. Or, le récit introductif de cette première Journée Paralympique semble porter en creux la célébration d’une urbanité événementielle inédite. D’une part, il participe à interroger l’image inclusive de la ville de Paris et la promotion d’une urbanité événementielle inédite. D’autre part, il pose la question de prolonger la temporalité de l’événement pour nourrir une politique urbaine inclusive à long terme.

À partir de l’exemple des festivités urbaines préparant le méga-événement olympique et paralympique, cet article participera à la problématisation des urbanités événementielles en géographie culturelle, mais aussi de la production de la ville inclusive. Plus précisément, il s’agira de voir dans quelle mesure la promotion des Jeux Paralympiques de Paris 2024, en se fondant sur l’idéal inclusif, propose un modèle inédit d’urbanité événementielle et participe à la mise en place, par le biais de l’événement, d’un nouveau modèle de ville inclusive ? Il s’agit ici proposer un cadre conceptuel exploratoire de l’urbanité événementielle à l’œuvre dans cette grande préparation de l’« héritage » inclusif des Jeux (Collinet et Schut, 2020 ; Richard et al., 2020) à partir de l’observation des Jeux en préparation2.

Dans un premier temps, nous montrerons comment l’événement produit un horizon d’attente inclusif pour la ville de Paris, puis comment cette exigence inclusive s’insère dans des stratégies plus larges autour de l’inclusion comme ambition des politiques sociales et urbaines, et qui se décline à plusieurs échelles. Enfin, nous questionnerons les spécificités de l’urbanité événementielle paralympique et sa pérennité, nourrie par la notion d’héritage social de l’événement paralympique.

Les Jeux Paralympiques ou la production d’un horizon d’attente inclusif sur la ville

Les Jeux Paralympiques contribuent d’abord à la formation d’un horizon d’attente partagé vis-à-vis des espaces dans lesquels ils se déroulent. L’occupation dense et soudaine d’un espace public emblématique de la Ville de Paris lors de la Journée Paralympique a été orchestrée conjointement par le comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 et les acteurs de la Ville, avec la volonté affirmée de mettre un haut lieu symbolique au service de l’attractivité de l’événement paralympique. Réciproquement, cette occupation entend accroître l’urbanité parisienne au nom de l’inclusion des personnes en situation de handicap (Richard et al., 2020). Or, cette ambition inclusive des Jeux Paralympiques vient questionner l’urbanité parisienne à nouveaux frais. Cette situation est due à la manière dont est conçue la relation entre cet événement et l’espace dans lequel il s’inscrit. Proust affirmait en effet que les événements sont « plus vastes que le moment où ils ont lieu » (Proust, 1919). Or, les travaux du groupe EPEES et leur critique (EPEES, 2000) ont montré qu’un événement est indissociable de l’espace où il se produit. Suivant cette perspective, l’espace ne peut pas être défini uniquement comme un support ou un réceptacle de l’événement, mais il doit être considéré comme constituant de l’action. C’est à partir de ce cadre théorique que la notion d’urbanité événementielle semble pouvoir être envisagée.

Dans L’Homme spatial (2007), Michel Lussault explique en effet l’échec de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques de 2012 par son incapacité à promouvoir une urbanité plus convaincante que celle promue par le projet londonien auprès des membres du Comité International Olympique (CIO). Douze ans plus tard, le capital urbain avancé par la Ville Lumière a su convaincre l’institution olympique avec un argument inclusif explicite, proche du projet de ville inclusive qui avait été proposé par Londres et qui avait fait le succès des Jeux paralympiques de 2012. Ainsi, si les Jeux Olympiques sont depuis longtemps considérés par les géographes spécialistes du sujet comme l’exemple par excellence de l’« événement spatial » (Augustin, 2009) et bien que la sphère médiatique a tendance à se focaliser sur les enjeux des Jeux Olympiques, comme en témoignent les débats autour de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, un argument majeur du succès de la candidature parisienne a bien été le suivant : les Jeux de Paris 2024 seront inclusifs ou ne seront pas.

Cet argument explicite est porté par le comité d’organisation et implique une communication importante sur les Jeux Paralympiques, qu’il convient dès lors de considérer comme un objet d’étude à part entière comme expliqué sur le site de Paris 2024 : « Alors qu’une personne sur sept dans le monde est porteuse d’un handicap, les barrières physiques et sociales limitant une participation pleine et entière à la vie de la cité restent trop nombreuses. Les Jeux doivent permettre d’accélérer les transformations nécessaires pour que chacun bénéficie effectivement des mêmes droits, des mêmes accès et des mêmes opportunités ».

Si l’ambition inclusive des Jeux s’adresse aussi aux femmes et aux personnes réfugiées, l’inclusion des personnes en situation de handicap fait l’objet d’une plus grande publicité, comme argument de vente des Jeux Paralympiques de Paris 2024 au grand public, à l’échelle nationale et internationale. Elle se décline en une série de propositions déposées dans le dossier de candidature de la France à l’organisation des Jeux, telle que celle de ne constituer qu’une seule et même équipe olympique et paralympique pour la première fois dans l’histoire, ainsi que celle d’organiser les compétitions paralympiques sur les mêmes sites centraux que les compétitions olympiques. Or, si l’on considère que ville et événement se nourrissent réciproquement, dans un contexte de montée en puissance de la ville événementielle (Chaudoir, 2007), c’est-à-dire de modification profonde du rythme des villes en fonction des événements auxquels elle donne lieu et sens (Gwiazdzinski, 2009), alors l’ambition inclusive des Jeux doit aussi concerner la ville de Paris. En effet, il semble que l’événement paralympique puisse être considéré comme le créateur potentiel d’un espace inclusif à son image, étant considéré un événement spatial par excellence de nouvelle génération si l’on étend la géographie olympique à l’événement paralympique. De fait, c’est dans cette capacité à produire un nouvel ordre spatial que s’opère la transition d’un simple événement à un « événement spatial » selon le groupe de travail EPEES3 : « de nombreux événements surviennent dans un espace (…) sans que cela change quoi que ce soit à l’organisation de l’espace. Il faut donc se placer du point de vue […] qui fait de l’espace un objet d’étude et non le support de toute chose. » (EPEES, 2000 : 193). Augustin Berque propose d’aller encore plus loin dans cette définition : un espace ne peut pas être en même temps support et constituant de l’organisation, au sens où la tenue des Jeux affecte les pratiques et les modalités d’aménagement de ces espaces, autrement dit il s’agit de considérer qu’un événement institue un espace irréductible à ce qui le précède (Berque in EPEES, 2000 : 99). Ces Jeux paralympiques se placent donc dans la continuité de l’adoption par la ville de Paris, depuis plusieurs années, du credo de la ville inclusive, qui se décline dans la mise en place d’une diversité de politiques, telles que présentées par Marylène Lieber (2021) dans son article « La Lutte contre le harcèlement de rue et les (nouveaux) indésirables des espaces publics ».

Bien qu’en français, l’étymologie du mot événement, evenire, semble indiquer quelque chose qui sort ou qui se produit, un événement ne peut donc pas être seulement ce qui a lieu. Dans la définition que Roger Brunet donne de l’événement, il indique également qu’il est « utile de faire la différence entre ce qui est un fait et ce qui est un événement. On a même vu des journalistes ou des hommes politiques s’amuser à qualifier certains faits de “non-événement”, bien qu’ils aient existé, parce qu’ils n’ont pas eu de conséquence sensible. » (Brunet, 2000, : 206). L’événement fait donc partie des faits auxquels on attribue un rôle central dans l’analyse des transformations sociales et politiques. En d’autres termes, pour être qualifié d’événement, les Jeux Paralympiques doivent entraîner une conséquence forte sur les acteurs et l’espace auprès desquels ils interviennent. Or, ce potentiel inhérent à l’événement fait l’objet d’une actualité tant sociale qu’académique. En effet, on note le regain pour l’histoire événementielle, l’événement permettant justement de penser la notion de changement (Ozouf-Mariginier et Verdier, 2000 : 218) et de produire un horizon d’attente. Cette notion de changement semble particulièrement féconde pour penser la capacité des Jeux Paralympiques à être porteurs d’inclusion, le handicap faisant actuellement l’objet d’un changement de paradigme tant dans les sciences sociales et plus spécifiquement en géographie (Escuriet, 2021) que d’un point de vue sociétal.

Dès lors, l’argument inclusif inhérent aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, constitué comme un objet d’étude relu au prisme du cadre théorique de l’événement spatial, semble produire un nouvel horizon d’attente pour la ville de Paris, qui se manifeste tant auprès du public des Jeux que des Parisien·es et des collectivités engagées dans la préparation de l’événement.

Un double apport des Jeux Paralympiques aux stratégies d’inclusion et à leur imprégnation dans le contexte parisien

La potentialité inclusive de l’événement paralympique peut également être observée par le biais des éléments d’urbanité qu’elle produit. Il est possible d’établir un parallèle entre Jeux Paralympiques et production de politiques urbaines de la Ville de Paris, à l’instar de la rédaction d’une stratégie handicap reposant très explicitant sur l’événement paralympique. De fait, la dernière en date, « Stratégie handicap et accessibilité universelle, 2022-2026 » a permis la définition de trois axes privilégiés pour le développement de la ville inclusive. Le premier axe consiste à renforcer l’information et la participation active des personnes en situation de handicap à la vie de la cité. Le deuxième axe cherche à élargir la palette de solutions médico-sociales et de droit commun pour donner plus de choix aux personnes en situation de handicap et à leurs familles. Le troisième axe encourage l’innovation technique, technologique et sociale au service de l’accessibilité et de la conception universelle. Ces trois axes se déclinent en 27 fiches actions opérationnelles.

On observe que trois fiches d’actions successives mentionnent directement l’événement paralympique comme outil d’action à privilégier : « Utiliser les Jeux Olympiques et Paralympiques comme accélérateurs de l’accessibilité », « Paris plus sportive avec les Jeux Olympiques et Paralympiques », « Utiliser les Jeux Olympiques et Paralympiques comme accélérateur de la participation à la vie de la cité ». Quatre fiches d’action font également référence au contexte des Jeux sans les mentionner directement : « Garantir l’accès à la vie culturelle parisienne des personnes en situation de handicap », « Garantir l’accès des personnes en situation de handicap à la vie sportive parisienne », « Former les agents de la Ville à la notion d’accessibilité universelle », « Expérimenter et innover en mobilisant le réseau des start-ups parisiennes ». En effet, bien qu’ils ne soient pas directement cités, ces objectifs rejoignent mot pour mot ceux du dossier de candidature de Paris pour l’organisation des Jeux de 2024. De plus, ils font l’objet d’appels à projets fléchés de la Ville, tels que l’Olympiade culturelle et Talents 2024, reliés à la stratégie Impact 2024 du comité d’organisation des Jeux. L’événement participe donc directement à la formulation de politiques urbaines inclusives de Paris, l’exigence inclusive des Jeux s’insérant ainsi dans des stratégies plus larges autour de l’inclusion comme ambition des politiques sociales et urbaines.

Des ambiguïtés en jeu(x) : les enjeux de la confusion entre accessibilité et inclusion

Néanmoins, à l’instar des politiques menées plus largement par la ville de Paris vis-à-vis de la ville inclusive, les actions mises en place à l’occasion des Jeux Paralympiques reproduisent certaines ambiguïtés liées à ce label. En effet, souvent, ville inclusive reste synonyme de ville accessible, « le label servant à nourrir une production de documents au statut hybride, entre synthèses de recherches et supports de marketing urbain. » (Clément et Valegeas, 2017) : si l’inclusion portée par les Jeux sert de levier au développement de politiques urbaines et sociales à l’échelle de la ville, le champ lexical des fiches opérationnelles privilégie pourtant le terme d’accessibilité à celui d’inclusion.

En lieu et place de l’inclusion, on trouve ainsi l’idée d’une formation des agents à une « accessibilité universelle ». En effet, l’accessibilité, que l’on peut définir comme l’« ensemble des possibilités effectives pour relier deux lieux par un déplacement ou pour accéder à un service (…) » et comme représentant l’offre de mobilité, ne suffit pas à porter la charge politique associée à la notion d’inclusion, cette dernière visant à une modification majeure de la norme validiste au sein des sociétés contemporaines. Or, cette acception a largement contribué au développement de la notion de ville inclusive, qui s’est répandue dans le discours des opérateurs urbains et de l’urbanisme aux côtés d’autres adjectifs tels que la ville créative, durable ou intelligente. Cette compréhension restreinte est très visible dans la réalisation des travaux pour la création du Village Olympique par la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques au prisme du socle Résilience et Accessibilité : la société combine les prises visuelles et matérielles pour une accessibilité physique optimale avec l’idée que ce qui est indispensable pour 10 % des usagers, est utile à 40 % d’entre eux et confortable pour tous (couleur des bâtiments, mobilier accessible et incitatif, rampes attractrives, etc.). Un autre exemple important est celui de la création d’un Pôle de Référence Inclusif et Sportif Métropolitain à Bobigny, dont les concepteurs cherchent à développer une méthodologie duplicable en termes d’inclusion à l’échelle française et européenne.

Cependant, si elle permet de développer de nombreuses applications d’un nouvel urbanisme, elle n’est pas sans poser certaines questions sur son sens social et politique (Clément et Valegeas, 2017).  De fait, dans un article posant cette question : « De quoi la ville inclusive est-elle le nom ? », Garance Clément et François Valegeas (2017) font l’hypothèse que la notion de ville inclusive fonctionne comme un « thème-objet » à même de s’imposer à l’agenda des pouvoirs publics et de définir un objectif mobilisateur, selon une définition proposée par Philippe Genestier à propos du terme « mixité » (Genestier, 2010). Pourtant, cette notion peut donner l’effet d’une coquille vide si elle n’est définie qu’à partir de l’accessibilité.

Certes, cette notion a un intérêt majeur pour la mise en accessibilité physique de tous les établissements recevant du public, notamment depuis la loi de 2005 en France pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle est donc considérée comme une valeur ajoutée des événements de promotion des Jeux Paralympiques, qui ont un effet d’accélérateur des efforts de mise aux normes de la ville pour les Jeux. En ce sens, l’événement paralympique semble apparaître comme un producteur temporaire d’accessibilité, au sens de norme, et comme un actant à plus long terme de l’accessibilité, au sens d’exigence fixée au nom de l’urbanité de la ville.

Pourtant, telle que présentée dans les actions préparatoires aux Jeux Paralympiques, la notion d’inclusivité revendiquée n’a pas seulement pour but de permettre une plus grande accessibilité. Elle est aussi revendiquée comme un moyen de transformer l’urbanité de la ville. Cependant, en confondant accessibilité et inclusivité, les politiques mises en place ne contiennent pas les deux critères majeurs associés à cette notion en géographie, soit le couplage entre densité et diversité des objets de la société dans l’espace. Cependant, l’accessibilité produite en contexte paralympique ne semble pas contenir les deux critères majeurs qui la définissent en géographie : l’urbanité procédant du « couplage de la densité et de la diversité des objets de société dans l’espace » (Lussault, 2013 : 1054).

Ainsi, cette confusion entre accessibilité et inclusivité reproduit un défaut récurrent des politiques liées au handicap, qui a été bien identifié dans les travaux critiquant l’approche dite sociale du handicap, souvent adoptée en sciences sociales. Dans les travaux de géographes francophones, la notion d’accessibilité a en effet eu un succès important, notamment en raison de sa facilité d’observation et d’application. Cependant, l’usage de cette notion a été critiqué pour sa tendance à limiter la délimitation du handicap à une perspective aménagiste de suppression des barrières fonctionnelles, perçue comme des « structures génératrices d’oppression » (Priestley, 1998 in Escuriet, 2021). Or, le concept d’inclusion ne se limite pas à cette dimension. Il recoupe aussi une forte dimension sociale et culturelle, reposant sur la participation active des personnes en situation de handicap à toutes les offres de la société (Gardou, 2010 ; Ebersold, 2009).

Au-delà de l’accessibilité : questionner l’inclusivité des urbanités paralympiques

Observer les conséquences, en terme d’inclusivité, des urbanités événementielles mises en place à l’occasion des Jeux Paralympiques implique de ne pas les observer uniquement à l’aune de l’accessibilité : il faut réinterroger le rôle que joue l’événement paralympique dans le couplage de la densité et de la diversité sociale de Paris, tant matérielle qu’immatérielle. En conséquence, il s’agit de questionner le sens à donner à ces critères de densité et de diversité dans la notion d’urbanités événementielles et de réinterroger le rôle  que joue l’événement paralympique dans le couplage de la densité et de la diversité sociale de Paris, tant matérielle qu’immatérielle. Dans la mesure où l’urbanité apparaît comme « une représentation sociale fortement présente non seulement dans les débats politiques explicites mais aussi dans les schèmes d’action de ceux qui font la ville » (Levy, 2013)4, que vient y apporter l’événement paralympique ?

En premier lieu, l’événement paralympique, auquel contribuent les divers événements de promotion des Jeux, rencontre l’adhésion d’un large public et produit un « consensus olympique » (Martinache, 2019). En effet, Igor Martinache et Olivier Le Noé (2019) présentent l’édition 2024 des Jeux comme une « cause sans adversaire ». Cette large adhésion du grand public prend la forme d’un intérêt croissant des médias et des Français pour les Jeux Paralympiques à l’approche des compétitions, et d’une affluence croissante du public lors des événements de promotion tels que la Journée paralympique 2023, notamment marquée par la présence du président de la République ou l’ouverture de la Semaine Olympique et Paralympiques 2024 dans une Adidas Arena pleine. La croissance de la densité du public dans les espaces de l’événement, associée à la visibilisation de personnes handicapées et performantes, semble donc participer à la mise en valeur de la diversité des personnes présentes, au nom de la sensibilisation du public au handicap.

Cette combinaison des critères de densité et de diversité interroge néanmoins la démocratisation de cette urbanité. L’assurance d’une accessibilité totale, qui se caractérise notamment par l’anticipation des cheminements complets de la prise en charge des fauteuils roulants à l’aéroport jusqu’à la place sur les sites de compétition, est gérée par un comité de pilotage interministériel dédié. De plus, leur faible coût voire leur gratuité font des événements de promotion paralympique des espaces-temps de partage de l’espace public par un nombre très important de personnes en situation de handicap et résolvent ainsi la question d’une « lutte des places » (Lussault, 2009) revendiquée dans l’injonction contemporaine à l’inclusion (Gardou, 2010). Ce partage de l’espace public est notamment marqué par le développement exponentiel des initiations aux disciplines paralympiques pour l’ensemble des Parisien·nes et par la mise en visibilité des corps handicapés dans des performances publiques. En effet, les Jeux Paralympiques étant le seul événement parasportif médiatisé, il s’agit de capitaliser sur sa préparation afin de préparer la production d’images correspondant à de nouvelles représentations capacitantes du handicap5. Or, ces deux formes participent d’un travail éducatif engagé par la ville sur les représentations du handicap dans cet objectif de démocratisation, qui se retrouve tant dans la production d’images publicitaires que de communiqués officiels lors de l’inauguration des événements de promotion observés.

L’événement paralympique produit donc l’image d’un espace public favorisant la participation sociale des personnes en situation de handicap, qui ne saurait se réduire à la question de l’accessibilité, et qui n’est pas autant visibilisée dans tous les événements urbains. Non spécialisé, l’événement paralympique est présenté comme un lieu de découverte et de rencontre, rassemblant non seulement des personnes en situation de handicap intéressées par l’offre de parasports présentée mais également de nombreuses personnes a priori non concernées par le handicap. Dès lors, l’urbanité événementielle paralympique semble vectrice d’une démocratisation effective des espaces qu’elle occupe et redéfinit. Cette démocratisation n’est pas sans tension au regard de l’accessibilité socio-économique des Jeux Olympiques et Paralympiques, en témoignent les controverses autour du prix des transports en commun et des hôtels accessibles pendant l’été 2024. Cependant, la gratuité des événements de promotion paralympique et le faible coût des places des compétitions paralympiques vont dans le sens de cette démocratisation spécifique à l’événement paralympique, qui se distingue ainsi des Jeux Olympiques en valorisant le critère de diversité indispensable à la définition de l’urbanité parisienne.

Ensuite, l’événement paralympique semble proposer une hyperscalarité spécifique (Lussault, 2020), au sens où l’événement agit en même temps à plusieurs échelles, qui profite très largement à l’urbanité parisienne au-delà des espaces dans lesquels s’insèrent les Jeux Paralympiques et leurs événements de promotion. Cette désignation tient notamment au fait qu’ils donnent à voir une capacité à agir en même temps à toutes les échelles, depuis l’échelle micro géographique des corps rassemblés pour l’événement à l’échelle mondiale du méga-événement sportif le plus suivi à l’international (McGillivray, 2019).

Dans cette perspective, l’urbanité produite par l’événement paralympique n’a pas de résonance uniquement à l’échelle de la capitale parisienne, en termes d’aménagement et d’attractivité. Elle a aussi une résonance à d’autres échelles, dont la combinaison est elle aussi productrice d’un référentiel urbain inclusif. En effet, l’hyperscalarité de l’événement paralympique propose temporairement un régime de visibilité de Paris fondé sur l’inclusion. Or, quand bien même les objectifs d’accessibilité ne seraient pas atteints par la ville en juillet 2024, l’intensité couplée à l’hyperscalarité des Jeux Olympiques et Paralympiques semble donc en mesure de produire l’image d’un Paris inclusif par la visibilisation temporaire mais massive du référentiel inclusif adopté par le comité d’organisation des Jeux. La spécificité de l’urbanité événementielle paralympique semble donc reposer sur la capacité de la ville à nourrir un discours inclusif produit pour la justification de l’événement par ses organisateurs. Plus que de démocratisation de l’événement par la valorisation du critère de diversité, on pourrait sans doute parler d’une illusion inclusive, inscrite dans l’éphémère.

L’éphémère de cette urbanité événementielle doit néanmoins être nuancé par la notion d’héritage social qui entoure les Jeux Olympiques et Paralympiques. Bien qu’il soit difficile d’en « circonscrire les contours » car elle englobe des dimensions matérielles et immatérielles, l’objectif de cette notion d’héritage social est de mesurer l’effet causal des Jeux sur des thématiques variées (Collinet et Schut, 2020). Or, la question peut aussi être posée pour l’urbanité inclusive produite le temps des Jeux : qu’en restera-t-il ? Il semble en effet que la pérennité de cette urbanité inclusive repose sur la construction de son propre héritage. Cependant, au regard des critiques apportées à ce concept de référence, notamment depuis les Jeux de Londres 2012, l’évaluation de cet héritage pose de nombreuses questions (Collinet et Schut, 2020 ; Richard et al., 2020). Plus spécifiquement, les éléments de réflexions détaillés dans cet article incitent à proposer quelques pistes pour contribuer à cette réflexion. En particulier, cette réflexion sur les Jeux Paralympiques de Paris montre la nécessité de réfléchir à l’évaluation de la dimension immatérielle de cette urbanité fondée sur l’inclusivité, c’est-à-dire sur la disposition des personnes à favoriser l’inclusion sociale et le partage des places grâce aux Jeux. Il s’agit également de proposer une nouvelle définition ne restreignant pas cette urbanité inclusive à l’accessibilité physique. Nous avons montré que la question de l’accessibilité ne suffit pas à recouvrir la définition de l’inclusion telle qu’elle a d’abord été formulée par Niklas Luhmann comme formant un processus dynamique avec l’exclusion dans les systèmes sociaux (Luhmann, 1995), puis théorisée par Charles Gardou comme étant la condition commune et l’utopie vers lesquelles devraient tendre toute société. L’accessibilité témoigne de dynamiques de compensation quand l’inclusion en appelle à une modification profonde des environnements sociaux. Finalement, il s’agit de suivre l’évolution de l’urbanité événementielle produite par les Jeux paralympiques afin d’évaluer sa transition d’un modèle d’inclusion fondé sur l’accessibilité à un modèle fondé sur la participation sociale, non seulement dans l’espace et le temps des événements de promotion des Jeux mais bien à toutes les échelles du méga-événement.

Dans un entretien réalisé par Pascal Tozzi, Jacques Lévy cherche à compléter sa première définition de l’urbanité en réaffirmant l’importance de « fabriquer de l’unité à partir de la diversité » (Lévy, 2023). En faisant reposer une partie des politiques urbaines sur les événements que font vivre les villes, celles-ci semblent s’assurer l’image d’une urbanité que l’on peut qualifier d’événementielle, au sens où elle correspond à des critères qui sont aussi ceux de la bonne réussite des événements. Le cas des événements de promotion des Jeux Paralympiques a permis de réfléchir à la distinction qui s’opère entre les critères d’accessibilité et de participation sociale, et l’importance prise par les événements dans la production de la ville inclusive. Cette réflexion a permis de montrer que les valeurs inclusives de l’événement paralympique participent directement à la production d’un espace marqué par une urbanité inclusive en puissance, rassemblant la densité et la diversité des corps en présence dans un centre renforcé par la coprésence des acteurs de l’inclusion, et agissant simultanément à toutes les échelles de l’événement.  À partir de cette nouvelle forme de coprésence, pourra-t-on finalement parler d’une urbanité inclusive héritée des Jeux paralympiques ? La question reste ouverte et appelle à dépasser les limites d’un terme galvaudé, sans prospective, par un accompagnement sensible6, critique et expérientiel de la participation sociale engagée par les Jeux Paralympiques afin de ne pas en rester au décompte du nombre de licencié·es en parasport et développer une conscience urbaine vraiment partagée, au-delà d’une simple coprésence.

FLORIE BRESTEAUX

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Florie Bresteaux, assistante-doctorante au Département de géographie de l’Université de Genève, géographie culturelle du handicap, Jeux olympiques et paralympiques, didactique de la géographie et méthodes audiovisuelles.

florie.bresteaux@unige.ch

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Photographie de couverture : Initiation au tennis fauteuil lors de la Journée Paralympique de Paris 2022 (Florie Bresteaux, 8 octobre 2022)

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Martinache I. et Le Noé O., 2023, « Les Jeux de Paris 2024, une cause sans adversaires ? » Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 158, en ligne.

Ozouf-Marignier M.-V. et Verdier N., 2000, « L’événement : Un objet historique à emprunter. », L’Espace géographique, 29 (3), 218-223, en ligne.

Proust, M., 1919, À la recherche du temps perdu, Gallimard.

Richard R., Marcellini A., Pappous A. S., Joncheray H. et Ferez S., 2020, « Construire et assurer l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques. Pour une inclusion sportive durable des personnes vivant des situations de handicap. » Movement & Sport Sciences, 107 (1), 41-52, en ligne.

Winance, M., 2003, « Pourriez-vous être politiquement correct lorsque vous parlez des personnes handicapées ? Sur la force du discours dans le champ du handicap. », Handicap, revue de sciences humaines et sociales, 54-70.

Pour citer cet article : Bresteaux F., 2024, « Un modèle d’urbanité inclusive au prisme de la promotion des Jeux Paralympiques 2024 », Urbanités, #19 / Urbanités événementielles, en ligne.

  1. La boccia est un sport d’opposition de balles mixte, pratiqué en individuel ou par équipe et inscrit aux Jeux Paralympiques. Elle s’apparente à de la pétanque jouée en intérieur avec des balles en cuir. Le cécifoot est un sport collectif d’opposition pour déficients visuels. Sur le modèle du football, l’objectif est de mettre un ballon sonore dans le but adverse en le faisant progresser à l’aide des pieds, tout en empêchant l’adversaire d’en faire autant (https://www.handisport.org/). []
  2. L’observation et l’analyse de ces événements est effectuée dans le cadre d’une thèse en cours sur l’expérience sensible du handicap par le grand public comme ressource inclusive dans le cadre des Jeux Paralympiques de Paris 2024. Elle est constituée d’un corpus de 12 observations, de participation observante régulière, de 2 suivis de cohorte et d’une analyse de discours des événements préparatoires aux Jeux Olympiques et Paralympiques composée de visites officielles, de communiqués et de réseaux sociaux. []
  3. Le groupe Espaces Post-Euclidiens et Événements Spatiaux (EPEES) est un groupe de travail sur la non-linéarité en géographie. Initié dans les années 2000, il a permis l’émergence du concept d’événement spatial, qui désigne aujourd’hui les Jeux Olympiques (Augustin, 2009). []
  4. La réactualisation de cette définition est issue d’une interview récente de Jacques Lévy dans La vie des idées. []
  5. La participation observante se fait à partir de la réalisation de la série animée Incasables produite par l’association Réal Des Mêmes, lauréate Talents 2024 en 2021, qui sera diffusée sur les écrans géants de la ville pendant toute la période des Jeux Olympiques et Paralympiques, ainsi que pendant la période d’entre-deux Jeux et dont les épisodes représentent une ville sportive inclusive gérée par les enfants. []
  6. Cette piste, poursuivie dans le travail de thèse, a été présentée par Dominique Charrier, maître de conférences de l’Université Paris Saclay, membre du comité de suivi de l’évaluation de Paris 2024 et du conseil scientifique de l’Observatoire national du sport, lors du colloque Les Enjeux des Jeux le 5 avril 2024. []

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