#19 / D’une place à l’autre : contrastes olympiques dans la « revitalisation » du port de Rio de Janeiro

David Amalric

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Pour peu que l’on promène ses pas en août 2016 du côté de la place Mauá, à Rio de Janeiro, on remarquera sans doute la silhouette futuriste du Musée de Demain, conçue par l’architecte Santiago Calatrava, qui semble s’élancer sur la baie de Guanabara. Mais on sera surtout frappé par la multitude qui parcourt le dallage flambant neuf de la place dans un brouhaha continu. La place est devenue le centre de gravité du tout nouveau « boulevard olympique », vaste fan zone sécurisée aménagée le long des quais qui voit se côtoyer les stands de grandes marques, les food-trucks gourmets et les grands écrans où les Jeux sont rediffusés en permanence. Quelques mois plus tôt, il n’y avait au même endroit qu’un vaste chantier. Les travaux du projet de revitalisation intitulé « Port Merveille », le plus grand partenariat public-privé de l’histoire du pays (7,6 milliards de réais)1, s’attachaient alors à transformer cette place sombre et malfamée en véritable vitrine de la ville olympique, et en lieu de visite incontournable pour les touristes de passage.

À un peu plus d’un kilomètre de là, et quelques cinquante mètres plus haut (voir carte 1), la place Américo Brum n’est plus que l’ombre d’elle-même : jadis lieu de rencontre et de sociabilité principal des habitants de la favela portuaire de Providência (historiquement, la première de la ville, datant de la fin du XIXe siècle) elle est désormais encombrée sur les deux tiers de sa superficie par une toute nouvelle station de téléphérique, permettant de relier la gare centrale au quartier portuaire de Gamboa en passant par-dessus la colline – ce qui offre au passage un magnifique panorama sur la région. La mobilisation des habitants, si elle a permis d’empêcher la démolition de près de la moitié de la favela, n’est pas parvenue à enrayer celle de la place. Plus encore, six mois à peine après les Jeux, les quelques touristes qui la fréquentaient occasionnellement ont durablement déserté les lieux : le téléphérique est complètement à l’arrêt et ses équipements commencent à rouiller, de sorte que l’accès à la place, pour les visiteurs extérieurs, ne peut plus se faire que par une longue ascension à travers une partie de la favela, ou par le transport informel à bord d’un vieux kombi Volkswagen. La place est le théâtre de fusillades fréquentes, et les narcotrafiquants lourdement armés en reprennent régulièrement le contrôle, engagés dans une guerre territoriale avec la police.

1. La région portuaire de Rio de Janeiro (David Amalric)

Le devenir contrasté de ces deux places dessine un chassé-croisé où se donnent à voir toutes les tensions et les contradictions propres aux transformations de la ville olympique (Hanakata et al., 2022). Comment les Jeux en viennent-ils à catalyser différents processus de transformation au sein de la ville, et comment ceux-ci affectent-ils ses espaces – avant, pendant et après la tenue du grand événement ? La région portuaire de Rio de Janeiro constitue un terrain d’observation privilégié, non seulement par l’ampleur des interventions qu’elle a connues dans la perspective du grand événement, mais aussi par les conflits qu’elle a suscités et les espaces qui, en son sein, se sont retrouvés en marge des grandes transformations. En partant de l’étude comparée des trajectoires ou des « carrières » (Tonnelat, 2015) de ces deux places, nourrie par l’observation régulière des évolutions de leurs usages, de leur configuration et de leurs ambiances, nous voudrions ici restituer ces dynamiques de transformation dans le détail de leur mise en œuvre, ainsi que dans la multiplicité et l’ambiguïté de leurs impacts2.

Deux places au sein du port, deux urbanités aux antipodes

Lorsque j’interroge Paulo, un jeune lycéen qui a grandi dans la favela de Providência, sur ce que représente pour lui la place Américo Brum, située à deux pas de chez lui, il évoque avec nostalgie son terrain multi-sports où les enfants jouaient au football et où les habitants se donnaient rendez-vous. Sa démolition, ainsi que l’installation du téléphérique, apparaissent alors comme un événement marquant :

Ce terrain [quadra], je vais te dire, il faut avoir vécu pour le voir ce terrain, y’a beaucoup d’histoire : des fêtes, les gens allaient s’y divertir, c’était le point de rencontre. « Allez, on se retrouve à la place », c’était là. […] Pour jouer au ballon, pour les fêtes, les bals [funk]. Le point de rencontre c’était la place, et maintenant c’est fini. D’une certaine manière ça a été un choc, parce que c’était un peu l’enfance de tout le monde. (Paulo, entretien du 15 avril 2018).

Quant à savoir où se réunissent les gens à présent, Paulo me répond : « je ne sais pas trop, on a la place Mauá ici maintenant, qui est bien, qui est peut-être plus agréable même, mais bon ce n’est pas pareil. C’est beaucoup plus loin » (Paulo, entretien du 15 avril 2018). Notre entretien a lieu dans un café qui donne sur cette même place : tout en parlant il me désigne celle-ci d’un geste de la main.

Nous nous trouvons alors à l’extrémité orientale de la région portuaire : les quais, qui donnent sur la baie de Guanabara, s’étendent encore sur près de trois kilomètres vers l’ouest. Sur toute son extension, le nord des quartiers portuaires3 est formé par un large remblai construit au début du XXe siècle et permettant d’équiper le port en infrastructures modernes. Avec ses entrepôts, sièges d’entreprises et bâtiments administratifs, cette partie constitue le prolongement rectiligne des quartiers portuaires à dominante résidentielle de Saúde, Gamboa et Santo Cristo, eux-mêmes surplombés par un enchaînement de collines : Conceição, Livramento-Providência et Pinto. C’est sur la deuxième qu’est située la plus ancienne favela de la ville, la « colline de Providência » (morro da Providência, anciennement appelé « colline de la favela »), formée à la fin du XIXe siècle suite à la démolition de plusieurs grandes pensions populaires situées en contrebas. Et c’est à la jonction de deux collines collées l’une à l’autre (Livramento et Providência) que se situe la place Américo Brum, point de rencontre, pendant longtemps, des habitants de la favela – à une vingtaine de minutes à pied de la place Mauá.

Alors que nous évoquons les transformations récentes de la ville, la place Américo Brum « disparue » d’un côté et la place Mauá « revitalisée » de l’autre se font écho dans le discours de Paulo. Elles n’en ont pas moins des caractéristiques géographiques très éloignées : la première, de taille modeste (environ 20 mètres par 40), est ce qu’on pourrait appeler un espace public de quartier, à forte dimension communautaire, située en hauteur et difficile d’accès en transport (il faut emprunter la kombi Volkswagen qui sert au transport informel). La vue imprenable qu’elle offre sur toute la région portuaire n’a donc d’égal que son escarpement. La place Mauá, quant à elle, est de proportions bien plus vastes (130 mètres par 150 environ). Située à même le quai et donnant sur une longue jetée (le pier Mauá), elle s’inscrit également dans le prolongement direct du centre-ville de Rio de Janeiro, puisque c’est sur elle que débouche la grande avenue Rio Branco. Longtemps associée à la prostitution et fréquentée par les marins de passage, elle était encombrée et assombrie depuis la fin des années 1960 par l’imposant viaduc Perimetral, voie rapide surélevée permettant de relier le centre à la zone nord.

Ces deux places fort différentes ont pour point commun d’être profondément affectées par les transformations de la région portuaire à la veille (puis au lendemain) des Jeux Olympiques de 2016. Elles connaissent pourtant des trajectoires distinctes, qui finissent par diverger largement. Au point que les transformations olympiques de la ville semblent avoir accouché ici de deux figures antinomiques de l’urbanité – qui se trouvent associées à des ambiances urbaines (Thibaud, 2015) et à des usages radicalement différents. L’observation régulière des deux places tout au long de mon enquête de terrain (de février 2016 à avril 2018) a permis de faire apparaître ces écarts. Elle a aussi permis d’examiner l’évolution de ces espaces dans l’avant et dans l’après-Jeux Olympiques, et de comparer ainsi leurs « carrières » (Tonnelat, 2015).

La place Mauá, d’un côté, est promue au rang de vitrine de la ville et de site touristique majeur quelques mois avant le début du grand événement sportif. Débarrassée de la pollution visuelle, atmosphérique et sonore du viaduc Perimetral, elle redevient praticable pour les visiteurs tout en gagnant en superficie. Elle accueille deux musées : le musée d’Art de Rio de Janeiro en 2013 puis le Musée de Demain, inauguré fin 2015. Intégrée au « boulevard olympique », elle connaît pendant les Jeux un véritable pic de fréquentation4, accueillant tous les soirs des concerts qui s’achèvent en grande pompe par des feux d’artifice. La place se transforme alors une sorte de « non-lieu » (Augé, 1992), une installation en kit, entièrement standardisée et réplicable à peu de nuances près dans n’importe quel endroit du monde, évoquant une forme de disneyisation (Bryman, 1999). Elle compte sur son parcours différentes attractions sponsorisées – ballon panoramique Skol, saut à l’élastique Nissan, stand Lego, stand Samsung, Espace Coca-Cola, musée itinérant Bradesco, etc. – dont chacune distribue des goodies (casquettes, parapluies, t-shirts) affichant les mêmes logos et les répétant à l’envi dans le paysage urbain. Le plan du boulevard olympique distribué sur place s’accompagne d’ailleurs du slogan « Faites davantage qu’assister aux Jeux. Venez vivre les Jeux Rio 2016tm », où le nom même de l’événement porte la mention trademark. Tout est fait pour encourager ce que certains aménageurs appellent la « marche lente », ce rythme propice à la consommation où l’on est constamment sollicité, stimulé, encouragé à s’attarder (Chauvier, 2018).  Dans le même temps, le périmètre hypersécurisé de la place est scruté en permanence par les caméras, les sacs sont contrôlés à l’entrée, et l’on serait bien en peine d’y trouver l’ombre d’un mendiant, d’un sans-abri ou d’un vendeur ambulant non conventionné – tous ont été évacués au préalable, et l’entrée au boulevard leur est refusée.

2. Le paquebot Norwegian Getaway stationné le long du Boulevard Olympique de Rio de Janeiro
(David Amalric, août 2016)

Si ce moment implique une forme d’urbanité exceptionnelle propre au moment des Jeux, il n’en est pas moins emblématique des transformations de la place sur le long terme – comme espace à la fois central, touristique et fortement normalisé. Cela n’empêche pas les habitants de se l’approprier : ainsi, noyés dans la foule des usagers de la place, on trouve aussi plusieurs jeunes du quartier comme Paulo, qui voient dans ses pelouses ou ses bancs un lieu de rencontre occasionnel. Les enfants et adolescents de la favela continuent eux aussi régulièrement de venir se baigner dans la baie en plongeant depuis le quai, à quelques mètres du musée de Demain. Si la place Mauá est investie comme un lieu de sociabilité, c’est en tant que lieu central, qui accueille, outre les touristes, un public venu de toute la ville (Lima, 2019) ; en ce sens, son usage est tout à fait distinct de la sociabilité de quartier qui caractérisait la place Américo Brum avant les travaux.

En étant choisie pour accueillir la station intermédiaire du nouveau téléphérique, cette dernière semblait  vouée à une mise en tourisme similaire, quoique de moindre proportion – avant que la période d’après-Jeux n’infléchisse ce devenir dans un tout autre sens. La place Américo Brum passe d’abord à partir de 2011 par une longue phase de chantier. Devenue inaccessible au public, elle cesse ainsi d’exister comme place. Puis, une fois la station achevée, l’inauguration du téléphérique est quant à elle maintes fois retardée : elle a finalement lieu juillet 2014, en pleine Coupe du monde de football, soit trois ans après le début des travaux. La place a vu sa superficie réduite aux deux tiers et son utilisation communautaire a considérablement diminué, en même temps qu’elle est devenue accessible en moins de deux minutes depuis la gare centrale ou le quartier de Gamboa. Elle connaît de ce fait un timide afflux de touristes, venus admirer la vue depuis le nouveau belvédère installé du côté de la baie, et occasionnellement, se restaurer au nouveau Bar de Jura aménagé à l’arrière de la station. Mais une telle situation ne dure pas : dès décembre 2016, le téléphérique est à l’arrêt faute d’entreprise candidate à son exploitation et suite à l’expiration du contrat avec le consortium Porto novo (chargé de l’ensemble des travaux du Port Merveille). Les installations commencent à rouiller, et l’équipement se transforme en une ruine précoce.

4. La quadra de la place Américo Brum avant la station de téléphérique (Léo Lima, 2011, avec l’aimable autorisation de l’auteur)

5. La station du téléphérique « en ruine » de la place Américo Brum (Selma Souza, 2023, avec l’aimable autorisation de l’autrice)

Surnommé le « musée du téléphérique » par les habitants, la blancheur de ses piliers semble incarner parfaitement l’expression d’ « éléphant blanc » régulièrement utilisée pour s’y référer. Simultanément, dans un contexte de crise des politiques de sécurité publique, la place se retrouve au cœur de conflits territoriaux entre la police et les narcotrafiquants. Elle se mue en lieu « occupé » – au sens militaire – par les uns ou par les autres, et devient le théâtre de constants affrontements armés. Les murs de béton de la station se retrouvent alors constellés de nombreux impacts de balle.

De sorte qu’un an après la tenue des Jeux Olympiques, l’« héritage » du grand événement (Scheu et al., 2019) s’apparente ici plutôt à une forme de déshérence. Rendue à son enclavement initial, la place ressortit à nouveau pleinement au territoire de la favela comme espace à part, en marge, soumis à des normes et des logiques distinctes du reste de la ville. Elle n’est guère plus fréquentée que par les habitants de la favela et de la rue Barroso qui y conduit5 – à l’exception des quelques visites touristiques organisées ponctuellement à Providência. Du fait de la guerre latente que se livrent la police et le narcotrafic, l’atmosphère y est souvent empreinte d’une forte tension. Nous sommes aux antipodes de l’anonymat sécurisé qui règne sur la place Mauá. La moindre visite sur la place Américo Brum est remarquée, enregistrée par ceux, police ou trafic, qui contrôlent son territoire : l’« inattention civile » (Goffman, 2013) y est remplacée par une forme de supervision ostensible. Il faudra attendre la diminution de la fréquence des affrontements armés, deux ans après le grand événement pour que la place se mette à accueillir à nouveau occasionnellement un public de l’extérieur (à travers des concerts de samba ou de choro, ainsi que, de façon occasionnelle, des départs de cortèges de groupes de carnaval).

Ainsi, dans ces deux espaces transformés par l’organisation du grand événement sportif, ce n’est pour ainsi dire pas la même ville, pas la même urbanité, et pas le même destin. Que s’est-il passé pour que l’héritage olympique prenne un visage si différent à seulement un kilomètre de distance ? Pour comprendre les ressorts de cette évolution contrastée, il s’impose de revenir en détail sur les logiques de déploiement des interventions urbaines au sein de la région portuaire et d’en démêler l’écheveau.

Revitalisation, urbanisation, pacification – les politiques urbaines et leur envers

La désignation en octobre 2009 de Rio de Janeiro comme ville olympique a constitué un indéniable point de bascule dans l’histoire de sa région portuaire. Comme c’est souvent le cas (Gravari-Barbaras et Jacquot, 2007), la candidature olympique se greffe ici sur un agenda préexistant de politiques urbaines et permet de concrétiser la mise en place de projets longtemps restés lettre morte. Le port a ainsi fait l’objet de plusieurs tentatives inabouties de reconversion et de rénovation depuis les années 1980 (Diniz, 2014), moment qui voit l’obsolescence de ses infrastructures et le déplacement de l’essentiel des activités portuaires vers le nord puis l’extrême ouest de la ville. Par ailleurs, l’organisation des Jeux, couplée à celle de la Coupe du monde de football de 2014, donne l’impulsion à une série de politiques menées à l’échelle de toute la ville, soutenues par un alignement des volontés politiques (entre la mairie, le gouvernement de l’État de Rio de Janeiro et l’État fédéral brésilien).

Le remodelage de la région portuaire dans le cadre des grands événements sportifs tient aux effets combinés de trois politiques publiques distinctes. La première est, comme nous l’avons vu, le grand projet de revitalisation du port intitulé « Port Merveille », plus grand partenariat public-privé de l’histoire du pays. Celui-ci prend la forme d’une « opération urbaine par consortium »6, instituée par loi municipale et qui permet de contourner les règlements d’urbanisme habituels. Le projet est géré par une société d’économie mixte créée pour l’occasion, la Compagnie de Développement Urbain de la Région Portuaire (CDURP), tandis que la maîtrise d’œuvre est confiée au consortium Porto Novo (regroupant plusieurs géants du BTP brésilien). Le projet articule la refonte des infrastructures urbaines (destruction du viaduc Perimetral, création de deux tunnels et de trois lignes de tramway, rénovation des voies existantes) avec la construction de musées (les deux principaux d’entre eux, le Musée d’Art de Rio de Janeiro et le Musée de Demain, étant comme on l’a vu situés sur la place Mauá), la restauration de bâtiments historiques et le financement de projets culturels7. En parallèle, le projet prévoit de mettre à la disposition des promoteurs les nombreux terrains vacants et inutilisés présents dans la région (pour la plupart des anciens entrepôts et bâtiments publics désaffectés), en vue d’accueillir de nouveaux gratte-ciels de bureaux, des hôtels ou des résidences de standing. Tel est d’ailleurs le ressort principal du financement du projet : le consortium chargé des travaux doit initialement être rémunéré, par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement immobilier dédié, à travers la vente aux enchères, sous forme d’actifs financiers, de permis de construire au-delà de la hauteur réglementaire (CEPAC – certificado de potencial adicional de construção). Mais en l’absence d’acquéreurs, la mairie, pressée d’engager les travaux à temps en vue des grands événements sportifs, obtient le rachat par le pouvoir fédéral de l’ensemble des titres, par l’intermédiaire du Fonds de Garantie du Temps de Service (équivalent brésilien de la Caisse des dépôts) – à hauteur de 3,5 milliards de réais (autour d’1,5 milliard d’euros), soit un peu moins de la moitié du coût total estimé de l’opération. Dès son amorce, le projet est donc confronté à l’échec de son mécanisme financier central, échouant à attirer autant d’investisseurs que prévu, ce qui tend à s’aggraver avec la période de récession économique que connaît le Brésil à partir de 2015. Ainsi, en 2021, seuls 8,93 % de la valeur totale des CEPAC a pu être vendue (CDURP, 2021) et seuls quelques grands projets (immeubles de bureaux et hôtels) sont menés à bien. Par ailleurs, le maire Eduardo Paes renonce à installer dans la région le village des médias et des arbitres comme c’était initialement prévu, entraînant la suspension durable du chantier du complexe Porto Vida qui devait les abriter (pour se transformer à terme en résidence tout équipée).

Il reste que pendant un peu plus de six ans, la mise en place du projet transforme les quartiers portuaires en un gigantesque chantier, et voit leur paysage fortement altéré, à commencer par la démolition du viaduc Perimetral qui obstruait leur façade nord sur toute son extension. Si la place Mauá a eu le temps d’être entièrement remodelée à la veille des Jeux, les effets combinés de la crise politique, économique et financière qui touche le pays à partir de la fin 2015 (et plus particulièrement l’État de Rio de Janeiro, contraint de recourir à l’aide fédérale d’urgence juste avant la tenue des Jeux), ainsi que l’élection fin 2016 d’un nouveau maire politiquement opposé au précédent – tout ceci finit par acter la suspension du projet Port Merveille, faute de fonds permettant de rémunérer le consortium chargé des travaux (Werneck et al., 2018), et en dépit du rachat de nombreux CEPAC par la CDURP, moyennant un apport de la mairie à son capital. Le chantier des deuxième et troisième lignes du tramway accumule un retard considérable tandis que la rénovation d’une bonne partie des rues de la région est indéfiniment suspendue.

Le contexte d’organisation des Jeux et de la Coupe du monde de football voit également dans toute la ville la mise en place d’une politique d’« urbanisation » des favelas intitulée Morar carioca (« Habiter carioca »). Celle-ci combine un objectif d’amélioration des infrastructures urbaines (voies carrossables, illumination, assainissement et distribution d’eau, collecte des déchets, espaces publics), de prévention des risques de glissement de terrain, et corrélativement, quoique de façon moins affichée, de dédensification des favelas elles-mêmes (Cavalcante, 2016). Le déploiement du Morar carioca dans la favela de Providência est étroitement associé au projet de revitalisation, à tel point qu’il est considéré par la mairie comme une « contribution fondamentale pour atteindre les objectifs du Port Merveille » (CDURP, 2011). En prévoyant l’aménagement d’un téléphérique, d’un funiculaire, et la transformation de la place de la chapelle située au sommet de la favela à travers le remplacement de ses bâtiments par des édifices de « style colonial », le projet Morar carioca promeut la mobilité des habitants tout en cherchant explicitement à conférer à la favela un potentiel touristique (Broudehoux et Legroux, 2013). Mais il prévoit surtout un nombre d’évictions et de démolitions considérable correspondant à près de la moitié de la favela (832 domiciles), au nom de ces différents aménagements et de la réduction des risques géotechniques (Gonçalves, 2013). Le tout se fait dans une absence totale de consultation ou de communication auprès des habitants (Luz, 2017) : un beau jour plusieurs centaines d’entre eux trouvent en rentrant chez eux leur façade taguée du sigle du secrétariat municipal au logement (SMH), suivi d’un numéro. La mairie ne fait rien pour dissiper le flou communicationnel qui entoure ces marques, que ce soit à propos du montant des compensations prévues ou du nombre total d’évictions envisagées. Elle cherche plutôt à entretenir un climat d’urgence, qui facilite la négociation individuelle avec les habitants.

Le projet se heurte toutefois à la mobilisation de ces derniers, qui s’organisent en commission avec le soutien d’une coalition d’acteurs culturels, politiques et universitaires baptisée Forum communautaire du port. Dans un contexte de forte attention médiatique internationale liée aux grands événements sportifs, on voit se fédérer à l’échelle de la ville différentes luttes contre le retour des politiques d’éviction dans les favelas. Pour ce qui concerne Providência, c’est une décision de justice qui finit par donner raison aux habitants mobilisés en octobre 2012 : en raison de l’absence d’étude d’impact et de véritable processus de consultation, tous les travaux du Morar carioca sont suspendus – à l’exception de ceux, déjà entamés, du téléphérique. Passée entre les mailles de cette décision judiciaire, la place Américo Brum sous son ancienne forme est donc détruite, malgré l’opposition des habitants qui y organisent plusieurs rassemblements, auxquels se joignent même les enfants qui refusent de quitter le terrain où ils ont l’habitude de jouer au football. Comme on l’a vu, le nouveau téléphérique sera finalement transformé au bout de deux ans en une ruine précoce, sa remise en service étant renvoyée au rang de mirage par la crise du projet Port Merveille et l’absence de volonté politique du nouveau maire.

Enfin, le dernier volet des interventions menées au sein de la région portuaire concerne un enjeu central dans le domaine de l’organisation des grands événements sportifs : celui de la sécurité publique. Providência (ainsi que la colline voisine de Pinto) fait en effet partie des 38 favelas de la ville choisies pour accueillir une « Unité de police pacificatrice » (UPP). En installant durablement un poste de police de proximité en plein cœur de la favela, la politique de « pacification » ambitionne de reprendre le contrôle du territoire au narcotrafic, et de supprimer par là ce qui est considéré comme un foyer endémique de criminalité sans avoir systématiquement recours aux incursions meurtrières des troupes d’élite et aux innombrables épisodes de fusillades qui les accompagnent. Bénéficiant de nombreux investissements privés et comptant parmi ses partenaires des multinationales comme Coca-Cola ou le cigarettier Souza Cruz, le projet est perçu comme une opportunité inédite de sécurisation de la ville à la veille des grands événements sportifs. Sans surprise à cet égard, la priorité est donnée aux favelas situées dans les zones touristiques et proches des futures installations sportives : Providência accueille ainsi la septième UPP, en avril 2010.

Si la pacification est un temps couronnée de succès, faisant baisser drastiquement le nombre d’affrontements armés (Ashcroft, 2014) et provoquant le départ de nombreux narcotrafiquants, elle se trouve rapidement confrontée à des difficultés : le narcotrafic continue ses activités de façon plus discrète et s’est étendu sur de nouveaux territoires en dehors de la favela. Le retour de la corruption parmi les policiers, associé au manque de moyens, contribue à faire progressivement des UPP une sorte de coquille vide où prévalent les anciennes méthodes (pots-de-vin distribués aux policiers et incursions armées violentes) contre la doctrine d’une police « communautaire » proche des habitants, privilégiant le dialogue avec la population locale et investie d’un rôle de médiatrice des conflits (Musumeci, 2015). Dans la région portuaire, l’échec de la pacification est manifeste à partir de la fin 2015 : les opérations armées redeviennent fréquentes et le narcotrafic reprend aux policiers des portions entières de territoire dans une dispute constante qui suscite de nombreux affrontements8. Telle est la situation que l’on voit se matérialiser par la présence des trafiquants en armes sur la place Américo Brum à partir de 2017. La violence des fusillades fait son retour dans la région, au-delà des seules limites de la favela, gagnant les rues anciennes situées aux alentours, avec de lourdes conséquences sur les processus de valorisation immobilière du quartier. Comme me le rappelle en entretien Edson, un habitant dont la mère a été évincée dans le cadre des démolitions du Morar Carioca, « ici le prix du loyer, ça dépend de la balle, ça monte quand il n’y a pas de fusillade, et sinon ça redescend » (Edson, entretien du 4 avril 2018).

Les trois politiques évoquées ici sont étroitement solidaires, et convergent dans un triple objectif de sécurisation, de mise en tourisme et de gentrification des espaces du port9 à la veille des grands événements sportifs. La réduction de la taille de la favela, sa sécurisation et son intégration au système de transports sont ainsi considérées comme des conditions nécessaires à la transformation de la région portuaire en espace attractif, que ce soit pour les investisseurs, les futurs habitants ou les visiteurs. Mais la crise des différents projets urbains finit par compromettre ces objectifs, formant une sorte de cercle vicieux : le retour des affrontements armés accentue le délaissement de la région par les investisseurs, entretenant l’impasse financière du Port Merveille. De sorte que l’« héritage olympique » à l’échelle de la région est foncièrement ambigu : celle-ci se transforme en un mixte de sections rénovées (dotées de nouveaux équipements culturels), de chantiers suspendus, d’espaces délaissés – le tout, dans un contexte de retour de la violence armée qui se déploie inégalement en fonction du lieu. Si l’évolution de la place Mauá et celle de la place Américo Brum sont toutes deux le produit de ces différentes politiques puis de leur crise, il s’impose de replacer leur différence dans le jeu de contrastes qui caractérise les temporalités et les espaces des transformations olympiques de la ville.

Contrastes temporels et spatiaux de la ville olympique

Le premier contraste qui caractérise les transformations olympiques de la ville est d’ordre temporel – il concerne la différence considérable qui se creuse entre un avant et un après du grand événement. En amont, les Jeux fonctionnent comme un véritable catalyseur des interventions urbaines, et produisent un effet spectaculaire d’accélération. Malgré les retards qui s’accumulent sur les différents chantiers, le consortium Porto novo chargé de la mise en œuvre des travaux met les bouchées doubles afin de garantir que tout sera prêt à temps – parfois de façon in extremis, comme c’est le cas du Musée de Demain (initialement prévu pour 2013, et prêt seulement quelques mois avant les Jeux), ou encore de la première ligne du tramway.

En aval, inversement, la plupart des projets sont laissés en plan, et tendent à être délaissés par les investisseurs : là où l’horizon du grand événement valait comme une sorte de promesse de concrétisation, il laisse ensuite place à une forme d’inertie, favorisant l’abandon de projets entiers (comme c’est le cas de plusieurs chantiers immobiliers). Une fois l’événement passé, le Port Merveille se heurte ainsi brutalement aux conséquences de son endettement, exacerbées par la crise, après une fuite en avant visant à mener à bien les chantiers les plus importants. À cet égard les dates de début et de fin de mise en service du téléphérique de Providência ne sauraient être plus parlantes : celui-ci est inauguré en juillet 2014, à la veille des quarts de finale de la Coupe du monde de football, et cesse de fonctionner quatre mois après la fin des Jeux Olympiques de 2016. De sorte que le destin de la place Américo Brum est tout entier affecté par l’asymétrie des temporalités événementielles, confirmant le constat en forme de prévision pessimiste extrêmement répandu parmi nombre de mes interlocuteurs habitants : « une fois les Jeux passés, tout ça sera fini » ou encore « on verra que ce n’était que du maquillage ».

En même temps, l’écart entre les deux places observées ici vient épouser un fort contraste spatial, qui préexiste en partie aux transformations olympiques de la ville mais se trouve considérablement accentué par elles. Il n’est pas étonnant que le périmètre des transformations urbaines laisse des territoires « à ses marges », qui demeurent délaissés tandis que son voisinage est rénové et modernisé. Ainsi les travaux de revitalisation du projet Port Merveille se déploient dans une direction géographique bien précise : ils accordent systématiquement la priorité à l’est (où est située la place Mauá) pour avancer graduellement vers l’ouest (où se situent Providência et la place Américo Brum)10. Mais du fait des temporalités du grand événement et de la crise des différents projets, ils finissent par s’arrêter en chemin. C’est donc déjà la partie la plus aisée de la région portuaire, située du bon côté de cette ligne de progression géographique, qui voit son cadre s’améliorer (et connaît plus que toute autre une augmentation de ses valeurs immobilières)11, tandis que les espaces plus stigmatisés que constituent la favela et ses environs finissent par être davantage encore délaissés. Ceux-ci sont même doublement laissés pour compte : non seulement ils font les frais de manière bien plus frontale de la crise des grands projets (suspension du Port Merveille, téléphérique laissé en l’état, échec de la pacification), mais, en amont, leurs habitants, menacés d’éviction, sont déjà les victimes collatérales de projets d’aménagement qui s’adressent en fait principalement aux promoteurs, aux touristes et aux potentiels acquéreurs ou nouveaux habitants au profil socio-économique plus élevé. Démolir sans consultation un espace public servant de point de rencontre aux habitants, au nom d’une modernisation qui est aussitôt rendue caduque, abandonnée en cours de route une fois les Jeux passés par manque de moyens et de volonté politique : voilà qui semble condenser, avec le cas de la place Américo Brum, toutes les contradictions de l’« héritage olympique ».

DAVID AMALRIC

David Amalric est docteur associé au Centre d’Étude des Mouvements Sociaux (EHESS/CNRS). Ses recherches se situent au croisement des études urbaines et de la sociologie des mobilisations. Elles portent sur les conflits d’aménagement, les transformations de la ville dans le cadre des grands événements sportifs, les mouvements pour le droit à la ville et les formes de contestation des habitant.es des favelas et des quartiers populaires.

Photographie de couverture : Parvis du Musée de Demain, sur la place Mauá – Rio de Janeiro, (David Amalric, août 2016)

Bibliographie

Amalric D., 2023, « Le port en révolte. Écologies de la contestation dans la région portuaire de Rio de Janeiro », Thèse de doctorat en sociologie, Paris, EHESS, 594 p.

Aschcroft P., 2014, « A História da Polícia Militar no Rio de Janeiro, parte IV : Unidades de Polícia Pacificadora », Rio on watch, 12 mai 2014, en ligne 

Augé M., 1992, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 160 p.

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Rapports

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CDURP (2017), Relatório trimestrial de atividades, janeiro-março 2017, Rio de Janeiro, CDURP, 15 p.

CDURP (2021), Relatório trimestrial de atividades, janeiro-março 2021, Rio de Janeiro, CDURP, 13 p.

Pour citer cet article : Amalric D., 2024, « D’une place à l’autre : contrastes olympiques dans la revitalisation du port de Rio de Janeiro », Urbanités, #19 / Urbanités événementielles, en ligne.

  1. Au moment du lancement du projet en 2009, ce montant équivalait approximativement à 3 milliards d’euros. []
  2. Cet article s’appuie sur les résultats une enquête de terrain conduite dans la région portuaire de Rio de Janeiro pendant près de trois ans (de 2016 à 2018) à l’occasion de ma thèse de doctorat (Amalric, 2023), s’attachant à mener l’ethnographie des transformations urbaines et des formes de contestation portées par les habitants et usagers de la région. L’enquête a combiné l’étude des documents d’urbanisme, de la communication officielle et militante, l’observation directe des espaces de la région portuaire et de leur évolution au cours du temps (leur configuration, leurs usages, leurs significations et leurs atmosphères), la participation au quotidien de plusieurs collectifs contestataires et de plusieurs séquences de mobilisations, ainsi qu’une quinzaine d’entretiens ethnographiques conduits avec différents acteurs de ces mobilisations. []
  3. Comptant une population totale estimée à environ 28 000 habitants (d’après le recensement de 2010 réalisé par l’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística, voir https://censo2010.ibge.gov.br/), ces quartiers font partie du quart le plus pauvre de la ville, avec quelques différences internes néanmoins (le quartier de Saúde, côté est, possédant un revenu moyen légèrement supérieur à quartiers de Gamboa et Santo Cristo vers l’ouest). Nous n’incluons pas dans le périmètre étudié le quartier de Cajú, situé plus à l’ouest, parfois englobé dans la définition de la « région portuaire », mais qui se trouve nettement séparé du reste de la région, en particulier par la barrière physique que constitue l’avenue Bicalho. []
  4. Pendant les Jeux, la fréquentation de cette vaste fan zone aménagée le long des quais dépasse les 250 000 de visiteurs par jour, dépassant le nombre estimé à l’origine de 80 000 visiteurs, selon cette source. []
  5. Les frontières précises de la favela de Providência font l’objet de définitions multiples et contradictoires par les habitants : en particulier, les rues anciennes de la colline de Livramento sont souvent incluses dans l’ensemble « Providência » bien que le cadre bâti y soit différent de celui de la favela à proprement parler (où prévaut l’auto-construction, la forte densité des logements et l’absence de voies carrossables). []
  6. Ce dispositif est prévu par l’article 32 du « Statut de la ville » de la Constitution fédérale brésilienne (loi 10.257 du 10 juillet 2001), et permet au pouvoir municipal de mener des opérations d’urbanisme de grande ampleur dont le déploiement fait exception aux dispositions des règlements d’urbanisme (zonage, limite de hauteur de construction, etc). []
  7. 3% des recettes de la vente des certificats de potentiel additionnel de construction sont censés être affectés au versant culturel du projet (appelé « Port Merveille culturel »), mais dans la pratique, finissent par servir à financer la construction des musées au détriment du soutien aux activités et initiatives locales – comme le dénoncera la mairie suite à l’élection du maire Marcelo Crivella en 2017 (CDURP, 2017). []
  8. En croisant différentes sources, pami lesquelles plusieurs pages communautaires des réseaux sociaux utilisées par les habitants pour s’informer en temps réel des fusillades, nous avons relevé ainsi 50 journées marquées par des affrontements armés soutenus en 2016, et 74 en 2017 (Amalric, 2023). []
  9. Si le terme en lui-même n’est jamais employé dans la communication officielle, la mairie se fixe pour objectif une augmentation démographique dans la région et encourage l’installation de résidences de standing destinées à la classe moyenne supérieure. Elle finit par annoncer la création de logements sociaux à travers un Plan de Logement d’intérêt social (Plano de Habitação de Interesse Social – PHIS) annoncé en 2015 auquel elle est contrainte par le ministère des villes, mais qui n’aboutira qu’à la construction de 118 unités de logement rue Nabuco de Freitas (soit un dixième de ce qui est annoncé par le plan). Les projections démographiques présentées à l’occasion du diagnostic préalable au PHIS (Prefeitura da Cidade do Rio de Janeiro/Instituto Pereira Passos, « Diagnóstico para o plano de habitação de interesse social/PHIS do Porto do Rio », 1er septembre 2015) prévoient explicitement d’altérer la composition socio-économique de la population locale, dans le sens d’un accroissement significatif du salaire médian de la région (Amalric, 2023). []
  10. Ainsi le découpage du projet en trois « phases » distinctes se superpose en partie à ce découpage géographique d’est en ouest, la troisième phase (qui couvre les environs de Providência, de la colline de Pinto – qui compte en son sein deux petites favelas – et les abords de la gare centrale) étant presque totalement abandonnée suite à la faillite de l’opération. []
  11. L’écart est particulièrement marqué entre les différents espaces de la région portuaire : ainsi, entre 2002 et 2012, la valeur au m2 des édifices anciens existants, corrigée de l’inflation, a augmenté de 114 % aux abords de la place Mauá, et de seulement 8,27 % aux abords de la favela de Providência (Nascimento, 2019). []

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